D'ordinaire facile à contacter, le chef négociateur du SCRC, Ubald Bernard, a été impossible à rejoindre aujourd'hui (le mardi 21 mai). Son téléphone ne répondant plus, la seule solution pour en avoir le coeur net restait d'aller à sa recherche en ville.
Premier arrêt, le siège de la CSN, rue De Lorimier. C'est là que se donnaient rendez-vous les membres du comité de négociation les jours où il n'y avait pas de négos et à partir d'où, semble-t-il, bon nombre des démarches des derniers jours ont été entreprises. Les portes sont verrouillées. Pendant que le veilleur de nuit vient péniblement les ouvrir, Boguslaw Podorski apparaît dans le lobby. Il est minuit pile. Il dit qu'il est le dernier sorti.
En attendant son taxi sur le trottoir, il s'excuse d'entrée de jeu de ne pouvoir donner quelque détail que ce soit: «Il y a des choses qui se passent en ce moment, des choses intéressantes», sans en dire davantage.
S'agit-il de «choses» de nature à plaire aux membres à l'assemblée de demain? «Je ne sais pas», répond-il.
Allez-vous tolérer que Radio-Canada vous dérange pendant l'assemblée comme cela s'est produit la semaine dernière? «On ne sait jamais», rétorque-t-il. Et voilà le taxi qui arrive.
Au même moment, tout près, un véhicule de Radio-Canada prend position dans le stationnement de la station service Esso où travaille Louis Lemieux. C'est Daniel Thomas, patrouilleur de nuit, qui prend position en écoutant ses innombrables balayeurs d'ondes. Daniel (qui salue Alexandre Dumas, en passant: «Tu lui diras que je m'ennuie de lui!») raconte que l'assemblée générale de mercredi dernier a eu un effet dévastateur à l'intérieur de la grande tour tout autant qu'à l'extérieur: «Tout le monde est ben découragé, dit-il. Depuis jeudi passé, il n'y a même plus personne sur le shift de nuit.»
Prochaine station: le local du syndicat des communications de Radio-Canada, angle Ahmerst et René-Lévesque. Des lumières sont allumées au premier étage, où se trouvent les locaux du syndicat. Mais toutes les entrées sont verrouillées. À l'entrée principale, une pelure de banane voisine les mégots dans le cendrier. Après avoir épié les fenêtres quelques minutes, l'immeuble paraît désert.
Et s'ils étaient déjà au complexe Guy-Favreau chez le médiateur?
À minuit et demie, bingo! C'est là qu'ils se cachent!
Mario Évangéliste (du service juridique de la CSN) est dans l'entrée du Service de médiation et conciliation. Dans le bureau du médiateur Jacques Lessard se trouvent François Morin (responsable de la mobilisation à la CSN), Michel Sénécal (responsable du comité de mobilisation au SCRC, le seul depuis la démission de Daniel Raunet), Alex Levasseur (membre du comité de négos et journaliste télé à Sept-Îles dans une autre vie) et Sylvio Côté (conseiller syndical et responsable de la mobilisation pour la région de Montréal à la CSN).
François Morin explique sa présence en disant que «normalement, un protocole de retour au travail se négocie toujours avec les gens de la
mob».
Le médiateur, qui s'attendait plutôt à voir arriver des représentants de la partie patronale, ne veut pas se faire photographier dans cet état, c'est-à-dire l'état de ceux qui ont manifestement travaillé de très longues heures. Il fuit l'appareil photo, mais voici néanmoins le cliché qui prouve que les fonctionnaires fédéraux font aussi du 9 à 5 de nuit (du 21 à 5 en fait...).
Par ailleurs, le président du Conseil de presse, Michel Roy, qui a
publiquement offert son aide à la médiation au cours d'une conférence de presse, aujourd'hui, n'était pas là. Merci, M. Roy (pas de lien de parenté). Les professionnels s'en occupent.
En attendant les représentants patronaux, dans une pièce située entre le bureau de Jacques Lessard et le local de négociation, l'avocat de la CSN, Mario Évangéliste, met une dernière main à une proposition syndicale de protocole de retour au travail.
Puis, s'installe l'attente.
Une discussion avec Michel Sénécal ne permet pas d'en apprendre plus sur le contenu de ce qui s'apprête à être discuté.
Je lui demande de me raconter sa journée: «Si je te raconte ma journée, tu vas comprendre ce qui se passe.»
Radio-Canada a-t-elle demandé au SCRC de faire un compromis pour faire une ultime concession? «Je ne peux rien te dire», répond Michel à chaque question spécifique. «Je peux te dire une chose, par exemple, ce n'est pas pour rien qu'on est ici.»
Après une heure d'attente, le conseiller à la négo de la CSN, Jean Grenier, arrive avec Michel Couturier (président du SCRC) et Pierre Cyr, membre du comité de négos. Ce sont les ombres floues que l'on distingue derrière Michel Sénécal. Il est 1h27 du matin et c'est encore loin d'être terminé.
Tout de suite, Jean Grenier «briefe» Mario Évangéliste sur le contenu de ce qui s'apprête à être discuté. Je n'attrappe que la dernière phrase: «Sur cette base-là, ils devraient s'en venir dans trois minutes», dit-il en parlant de représentants patronaux qui se font toujours attendre. À peu près au même moment, le téléphone sonne. Le médiateur Jacques Lessard décroche, fait quelques «OK», raccroche et dit: «Ils arrivent.»
Et les attendant encore, je demande à Michel Sénécal où se trouve Ubald Bernard: «Ubald, je pense qu'il est allé se coucher. Il a travaillé
très fort aujourd'hui.»
Pierre Cyr, du comité de négos et assistant à la production à l'émission
Virginie, donne un peu plus de détails sur le comment de ce dernier droit de négociations: «Depuis l'assemblée de mercredi passé qu'on les lâche pas. On a avisé Jacques Lessard dès le résultat du vote, à 22h30 à peu près. Il s'est mis en mode "attente" à ce moment-là. Et dès le lendemain, on l'a avisé qu'on voulait relancer Radio-Canada.» Il s'est ensuivi un blitzkrieg d'appels téléphoniques. Mais «l'ouverture s'est faite aujourd'hui», indique Pierre Cyr. Aujourd'hui seulement.
À 1h51, trois hommes se présentent aux portes verrouillées du Complexe Guy-Favreau. Aucun gardien de sécurité n'étant dans les parages, je leur ouvre. Michel Hamelin, directeur du développement organisationnel des réseaux français et service conseil télévision pour les Ressources humaines, se présente accompagné de deux hommes qui ont refusé de dire comment ils s'appelaient.
M. Hamelin est cordial, souriant et ne voit pas d'objection à se faire photographier.
Quelques instants plus tard, le médiateur Jacques Lessard l'accueille et tout ce beau monde s'enferme dans les bureaux du Service de fédéral de médiation et de conciliation.
En maintenant la tenue de son assemblée, demain, le SCRC a, pour la première fois peut-être au cours de ce conflit, pris le contrôle du jeu et envoyé la balle dans le camp de la Société. Le SCRC a en quelque sorte dit à la direction de Radio-Canada: «On la tient quand même, cette assemblée. Si vous voulez vraiment que ce conflit se règle, faites un geste significatif. Améliorez encore vos offres et je vous garantis qu'elles seront acceptées cette fois.»
Reste à voir si les gestes de cette nuit auront été significatifs.
Les détails seront dévoilés d'abord aux délégués au cours d'un conseil syndical devant avoir lieu à 9h30, puis aux membres quelque temps avant l'assemblée générale de 13h.