samedi, mars 30, 2002

Les chapeaux de Jean-Benoît

Vive Internet! Même plus besoin d'aller sur les lignes de piquetage. Dans le confort de mon foyer, je reçois des témoignages de collègues précaires. Voici celui de Jean-Benoît Legault, qui porte d'innombrables chapeaux sous lesquels il accumule d'incalculables journées d'ancienneté, comme s'il travaillait dans d'incompatibles entreprises.

    Date: Fri, 29 Mar 2002 08:53:57 -0500
    To: hugo@reporters.net
    From: "Caroline, Jean-Benoit, Thomas & Guillaume"
    Subject: Re: Précaire

    Salut J-H,

    À la radio nationale, où j'ai commencé, mon expérience ne se distingue en rien de celle des autres: toujours sur appel, aucune stabilité, et surtout aucun droit à une vie privée.
    Un après-midi, je suis en route pour aller chercher mon infirmière de blonde à l'hôpital. Le cellulaire sonne: «Peux-tu rentrer dans 10 minutes?» Non, que je réponds, puisque je m'en vais chercher ma blonde à l'hôpital.
    «Comment ça ta blonde est à l'hôpital? Vas-tu pouvoir rentrer demain?» Mon interlocutrice pensait que ma bien-aimée était malade. Mais sa préoccupation première a été non pas pour sa santé, évidemment... Minable.

    Par la suite, à RCI, par contre, c'était radicalement différent. Pas plus de stabilité, mais au moins je me sentais apprécié et respecté. Ils n'ont jamais fait de chichi quand je leur ai demandé de ne pas travailler tous les weekends systématiquement, de façon à passer du temps avec ma blonde et mes bébés.
    Pas de chichi non plus quand je refusais de travailler 12 jours en ligne pour ménager ma santé, autant mentale que physique. J'avais le droit de dire non. Et nec plus ultra du traitement, de temps en temps, on me disait: «Merci, tu fais de la bonne job, t'es apprécié, lâche pas.»

    En octobre 2001, je suis allé passer quelques jours à RDI. La secrétaire des horaires m'a fait une crise quand j'ai refusé de travailler un shift de 14 heures. Et quand je lui ai expliqué que je ne pouvais pas travailler trop souvent jusqu'à minuit parce que mon petit monde est réveillé à 5h30, elle m'a répondu - verbatim - que ma vie personnelle ne l'intéressait pas. Plus méprisant que ça, tu meurs.

    Retour à RCI, où je ne demanderais pas mieux que de finir ma carrière... si seulement ils avaient une carrière à offrir.


Et vlan! Excellent punch!
Je blaguais plus haut: je compte quitter le confort de mon foyer pour retourner recueillir des témoignages in vivo dès le retour de Pâques, que j'espère joyeuses, que vous fassiez partie des trois «P» (précaires, permanents, patrons) ou pas.

Josée du Saguenay


La gang du Saguenay en congé forcé - Photo envoyée par Josée Bourassa

À Ville de Saguenay aussi, les radio-canadiens font le trottoir dans des conditions pas mal plus rigoureuses qu'à Montréal, comme la photo ci-dessus, prise le 22 mars au moment de la grève de 24 heures, en fait foi.
Je vous raconte comment cette photo s'est retrouvée là. Jeudi dernier, je n'avais pas réussi à trouver de collègue précaire avec qui faire une entrevue. Un peu dépité, j'ai confié mon désarroi à Isabelle Poulin, lectrice de nouvelles à la radio que j'ai rencontrée dans la «war room» du SCRC. Elle me dit: «Savais-tu qu'à Chicoutimi, sur 17 employés affiliés au SCRC, ils sont 11 à travailler dans la précarité! Téléphone à Josée Bourassa, c'est une amie.»
C'est ce que j'ai fait le lendemain matin. Josée m'a finalement écrit son histoire par courriel, puis m'a envoyé quelques photos, dont celle que j'ai mise en ligne ci-haut.
Voici son histoire, un double exemple de précarité et d'iniquité envers les femmes.

    Je suis arrivée ici à CBJ à l'été 1998. C'était mon premier emploi à Radio-Canada. Je ne connaissais donc rien de la structure, du mode de gestion des patrons, et j'en savais encore moins sur le SCRC.
    Je te précise qu’au moment de mon embauche, je résidais encore en Italie. Mais mon désir de revenir au Québec était si grand que c’est pratiquement les yeux fermés que j'ai accepté le contrat qui me fut offert. J'ajouterai à ma décharge que j'aurais cependant été bien mal armée pour me négocier autre chose, ne connaissant même pas les différents types de contrats ou de postes existant à Radio-Canada. J’ignorais jusqu’à la différence entre un annonceur et un animateur...

    Je me suis donc retrouvée avec un contrat d'été de commentateur-interviewer pour animer une émission quotidienne de retour à la maison. J’animais en plus une émission "réseau" le vendredi soir d'une durée d'une heure. Parmi mes tâches connexes, je devais en outre lire les informations de 14h ainsi que celles diffusées pendant mon émission.

    Dès l'automne 98, j'ai pris la barre de la même émission de retour à la maison en saison régulière et depuis, la ronde des contrats n'a jamais cessé. De contrat de 39 semaines en contrat de 13 semaines, je vogue de saison régulière en saison estivale. Je lis toujours les informations à chaque jour, je fais de la recherches d'invités, etc.

    On me demande quelquefois de remplacer le lecteur du matin pour la lecture des nouvelles de 10h, de 11h et de midi, et ce sans aucune rémunération additionnelle. Je remplace aussi l'animateur du matin pendant les vacances estivales ou de Noël et lorsque je fais ce remplacement aucune rémunération supplémentaire que se soit ne m’est accordée. J'ai une seule fois demandé d'obtenir quatre jours compensatoires pour 5 semaines de travail en guise de remplacement de la prime de nuit (à laquelle je n'ai pas droit) et on m'a carrémment envoyée promener.
    Par ailleurs, on m'a déjà dit clairement de ne pas être malade les lundi et mardi, car on avait personne pour me remplacer!

    Si j'obtenais une permanence, le rapport de force ne serait plus le même. Je pourrais dire non aux demandes absurdes ou exagérées qui me sont faites sans risques de ne pas voir mon contrat non-renouvellé. Tu comprends?

    Bref, je termine en te racontant une petite histoire de discrimination:
    Nous étions à la fin de la saison régulière de 2000, je crois, lorsque le directeur de l'administration de la boîte débarque dans mon bureau avec mon renouvellement de contrat: du 17 juin au 25 août... Je venais de finir une saison fantastique ou notre nouvelle émission venait de faire également un bond dans les cotes d'écoute. On me présente donc ce contrat de trois mois, à signer sur le champ, ne considérant nullement tout le travail accompli durant la saison.
    Inutile de te dire que je n'ai pas signé! J'ai appelé le directeur pour lui signifier ma colère, mais tout ce que j'ai pu obtenir par la suite fut que mon contrat soit d'une durée d'un an, sans autre avantage que se soit.

Je n'ai pas pu obtenir l'accord de mon patron (ma blonde) pour aller prendre une photo de Josée à Ville de Saguenay, alors j'en ai prise une de mon écran. Car Josée est une précaire vedette (ou vedette précaire, plutôt): elle a sa photo sur le site ouaibe de Radio-Canada, avec Jean-Pierre Girard.

Josée Bourassa, telle que vous pouvez la voir sur le site de Radio-Canada Saguenay--Lac-St-Jean

Un site à Moncton!

Bandera acadiana

D'autres employés à qui Radio-Canada interdit de travailler se sont également tournés vers le ouaibe pour raconter leur lockout.
C'est le cas d'Alain Arsenault, assistant à la réalisation à Moncton et précaire depuis une décennie. Rendez-lui visite, vous y retrouverez entre autres une photo hilarante!

vendredi, mars 29, 2002

Encore les téléspectateurs!

Un nouveau courriel, de nouveaux arguments pour mettre fin à ce lockout absurde!
    From: "Catherine-Ann H. Gauthier"
    To: hugo@reporters.net
    Subject: Un grand merci
    Date: Fri, 29 Mar 2002 10:46:03 -0500

    Un petit mot d’une téléspectatrice, auditrice et contribuable.
    Bien au-delà des manchettes, des communiqués officiels de part et d’autre, des tentatives d’influencer l’opinion publique, votre site nous fait découvrir la vie derrière l’histoire, la réalité humaine de ceux dont le sort est souvent mis en balance selon les décisions prises dans le contexte d’objectifs de performance budgétaires ou autres, ou de restrictions budgétaires.
    C’est malheureux, mais il faut le rappeler : on fait peu de cas de l’humain parfois et cette situation se vit tellement fréquemment de nos jours dans les administrations, privées ou publiques. En bout de ligne, c’est toujours la qualité qui en souffre : qualité de vie, qualité des conditions de travail, qualité des relations humaines et, très souvent, qualité du produit final livré.
    Un grand merci, donc.

    Catherine-Ann H. Gauthier
    Sillery, Québec

Action directe

Certains auditeurs/téléspecteurs se demandent comment appuyer concrètement les employés de Radio-Canada en lockout. Un geste simple: écrire un courriel à votre député(e) fédéral(e) pour lui demander pourquoi le lockout se poursuit alors que les négociations entre les parties suivent leur cours; pourquoi, en somme, vous prive-t-on du service public auquel vous avez droit?
Pour retrouver votre député, consultez la liste des députés du Québec de la Chambre des communes et celle des députés du Nouveau-Brunswick. En cliquant sur son nom, une nouvelle page apparaît sur laquelle vous trouverez son adresse de courrier électronique.
Si vous ne connaissez ni le nom de votre représentant à Ottawa, ni celui de votre circonscription, vous pouvez le ou la retrouver à l'aide votre code postal!

Enfin, vous pouvez directement envoyer un message à la ministre du Patrimoine canadien Sheila Copps, responsable de Radio-Canada, à l'aide de ce formulaire.

Commando à l'action

Une preuve de l'action commando rapportée hier. Avec Danielle Bélisle et Pierre Duchesne, Philippe Schnobb a posé une question qui a menée à une déclaration de Bernard Landry sur le conflit. Entre eux, l'attaché de presse du premier ministre, Hubert Bolduc, une armoire à glace de près de 2m, a l'air de se demander: «Qu'est-ce qu'il fait là, lui? Y'est pas supposé d'y avoir un lockout à Radio-Canada?»

Philippe Schnobb posant une question au pm

Courriel d'un collègue

Voici le courriel que m'envoie Yves Desjardins, chef de pupitre au Téléjournal. Son texte représente une certaine dissidence au sein des troupes radio-canadiennes en lockout. Je partage certains points de son opinion, d'autres pas. Chose certaine, le propos est éloquent et il mérite d'être lu.

    Si je ne prends pas trop de temps, j'aimerais aussi t'écrire quelque lignes à propos de ton site. Il reflète bien ce qui est rapidement devenu l'enjeu du conflit: la précarité de l'emploi chez les plus jeunes surtout. Et je sens une certaine ambivalence dans tes réflexions et celles des personnes que tu as interviewées à ce sujet: car, ce n'est peut-être pas une vérité bonne à dire ces temps-ci, si on compare à ce qui règne en radio-télévision au privé, R-C reste l'une des boîtes qui traite le mieux ses employés, même contractuels... En tout cas, c'est ce que mes amis à moi qui sont "nomades du privé" et qui voguent d'un contrat à l'autre me disent. Ce qui m'inquiète un peu chez nous à R-C, surtout dans les secteurs de la boîte moins soumis aux pressions de la concurrence (radio, régions), c'est qu'on semble parfois oublier ce que sont les conditions de travail dans le monde "hors-de-Radio-Canada".

    On peut, bien sûr, décider que notre conflit a valeur d'exemple pour l'ensemble de la société et essayer de renverser la vapeur des 15 dernières années. C'est là un combat légitime. Mais je pense qu'il faut alors que nos dirigeants disent clairement que notre cible, c'est le gouvernement fédéral, le Patrimoine, le Conseil du trésor, et pas seulement les "méchants boss" de Radio-Canada (qui souvent --- et je vais dire quelque chose de pas très "politically correct" --- sont chez nous parce qu'il croient au rôle d'un télédiffuseur public, en tout cas, sûrement pas pour l'argent. Leur salaires sont très inférieurs à ceux du privé).

    Je me permets de te dire ça parce que je fait partie des rares "vieux" qui ont fait la grève de huit mois en 80-81 et qui sont encore là. Maisonneuve, qui t'a tant ému mardi, y était aussi, mais "en dedans": les journalistes des émissions d'affaires publiques étaient alors dans un autre syndicat... En plus, Pierre, dont je ne remets pas en cause la sincérité, me semble avoir un peu la nostalgie d'un Radio-Canada qui n'existe plus. À l'époque, TVA, qu'on appelait le canal 10, n'avait aucune crédibilité en info, les producteurs privés n'existaient pratiquement pas, bref, Radio-Canada était bien moins fragile qu'aujourd'hui...

    Et pourtant, paradoxalement, c'est précisément la précarité qui était déjà --il y a 21 ans!-- l'enjeu principal du conflit. J'étais un jeune surnuméraire et l'embauche se faisait alors à la journée ou à la semaine, sans aucune forme d'accumulation d'ancienneté ou avantages sociaux. Je me sentais d'ailleurs un peu comme Alex Freedman que tu as interviewé: j'avais peur que la règle de l'ancienneté absolue ne vienne bloquer la possibilité pour les plus jeunes, les plus nouveaux, de faire leur chemin grâce à leur compétence. Et je penses toujours (pas très politically correct encore, j'en conviens) que, dans un boîte de création comme la notre, il faut trouver un équilibre entre la sécurité d'emploi et la marge pour recruter du sang neuf. Surtout à Radio-Canada, qui sécrète une "culture endogène" (ou incestueuse?) très forte. 

    (D'ailleurs, je me demande parfois si notre conflit n'est pas une occasion inespérée pour la CSN de se refaire une image auprès des jeunes. On a tellement accusé les syndicats ces dernières années --c'est bien exprimé par Martineau de Voir notamment-- de vouloir avant tout protéger les privilèges des "vieux" face aux jeunes en défendant comme seule règle l'ancienneté au détriment de tout autre critère, comme par exemple la compétence... Remarque, le "baby boomer" que je suis comprend très bien que lorsqu'on touche les 35-40 ans, avec en prime la famille... Les "générations X" --ou Y-- se laissent à leur tour séduire par la sécurité de l'ancienneté. Mais à quoi bon être tous permanents dans une boite dont l'existence même serait compromise?)

    Tout ça pour te dire que quand le conflit a fini par débloquer en 81, il a fallu que ça remonte jusqu'aux plus hauts niveaux du gouvernement fédéral. Et c'est ça qui peut être long pour toutes sorte de raisons: peur de créer des précédents pour la fonction publique fédérale, les autres sociétés de la couronne, etc. Et, faut pas se le cacher, on pèse souvent moins lourd que CBC à Ottawa...

    Par contre, s'il s'agit de réaménager les conditions de travail des surnuméraires en info, de leur permettre de prendre des vacances sans perdre d'ancienneté, d'accorder des permanences à temps partiel pour les week-ends, ça, ça me semble possible "à l'interne" sans demander la lune à Ottawa...

    Bref, je suis solidaire, je suis sur les piquets à tous les jours, mais je ne penses pas que la pensée unique soit une bonne chose même lors d'un conflit. C'est pour ça que je ne cache à personne, sur un mode poli,  ma dissidence sur la stratégie de notre syndicat. Surtout lorsque ce qui constitue le "bottom line" d'un éventuel règlement n'est clair pour personne jusqu'ici.

    D'un collègue qui a hâte qu'on retravaille ensemble.

jeudi, mars 28, 2002

Piquets du 28

Bref résumé de la soirée (15h à 19h) sur les piquets.

Graffiti rue de la Gauchetière disant: Que crèvent les boss

Ce graf, rue de la Gauchetière, tout près de la «Maison», ne reflète vraiment pas l'état d'esprit qui anime les piqueteurs et piqueteuses. L'ambiance est au beau fixe, la confiance règne, plus personne (ou presque) ne croit que le conflit va durer jusqu'en septembre (on parle de quelques semaines tout au plus). Sacré contraste par rapport à la déprime du début de la semaine.

Nice shot

Les tovaritch de la radio anglaise se sont fait une partie de croquet sur un terrain de neige. Si la tendance se maintient, on va piqueter en frisbee, aki, et autres affaires qui riment en «i».

Bertrand Hall vous conseille...

Voici l'image de la journée, qui illustre à la perfection la bonhommie ambiante. Cette pancarte confectionnée par Bertrand Hall, avec une photo de lui, fusil à la main, pendant une session de formation pour correspondants de guerre, accompagné de son conseil amical: «On préfère négocier».
Et puis, ça discutait avec enthousiasme des nouveaux comités constitués par le syndicat. L'un d'entre eux compte mettre sur pied une webradio dès mardi (dans le genre du Radiostorm que diffuse l'Associated Press ou plus près de nous tabarnak.net [à écouter à vos risques et périls]).
Un autre, le comité commando, a pris d'assaut Bernard Landry au cours d'un scrum pour réussir à lui faire déclarer ceci:

    «La discrimination est claire entre l'Ontario et le Québec, entre les hommes et les femmes [...]. Je pense, comme citoyen du Québec et comme premier ministre du Québec, que Radio-Canada doit régler les problèmes de discrimination.»

Attaboy! Ce conflit est un jeu qui peut également avoir lieu sur le terrain politique.
Justement, aujourd'hui, les deux parties ont renoué contact autour d'un médiateur. Trois membres du comité de négociations du SCRC sont venus informer les piqueteurs vers la fin de l'après-midi.

Trois membres du comité de négociation informant les piqueteurs des dernières nouvelles

Le tout semble avoir redémarré du bon pied, ont-ils confié. La partie patronale a dit vouloir réfléchir pendant le long weekend de Pâques sur les demandes exprimées à l'assemblée générale de mardi. Elle a promis de téléphoner au syndicat le mardi, 2 avril, afin de fixer le prochain rendez-vous de négociations pour mercredi ou jeudi.
Meanwhile, cependant, le lockout se poursuit...

Correction du tir sur SB

Ce qu'il y a de bien avec ce site, c'est que je reçois tout à coup des tas de courriels de collègues. On communique enfin (on a le temps, contrairement à nos journées de travail toujours intensives) et on se dit les «vraies affaires».
Un collègue du Carrefour de l'information (CDI) m'a expliqué le contexte de ma nausée de la semaine dernière.
L'animateur dont je parlais, m'assure-t-il, n'a jamais voulu se moquer des précaires. Il cherchait sincèrement à dissiper la vive tension qui régnait ce jour-là. De façon malhabile sans doute, mais il était de bonne foi. Il aurait également reçu des appels injurieux à la maison, ce qui n'est pas une bonne façon de le rallier à la cause des précaires.
Bref, l'animateur dont je parlais, c'est Stéphan Bureau, un homme à l'humour éclectique et que je n'avais pas compris, en ce jeudi infernal. Je comprends désormais. Merci des éclaircissements. Je n'aurai pas besoin de Gravol :-)

Straight from DC

Un autre appui du public, straight outta DC
    Date: Wed, 27 Mar 2002 19:21:44 -0500
    From: Ani Castonguay
    To: hugo@reporters.net
    Subject: merci!

    Un petit mot d'une étudiante québécoise à la maîtrise à Washington pour vous remercier d'avoir créé ce site qui donne un visage humain, une couverture rafraîchissante du conflit à Radio-Can, autre que «le-syndicat-dit-que-c'est-un-lock-out / l'administration-dit-que-la-grève-de-24h-n'est-pas-prévue-au-code-du-travail», qui en fait met le doigt sur un des problèmes criant des travailleuses et des travailleurs de l'information, la précarité.

    Ani Castonguay
    MA Candidate in International Communication
    Related Field: Peace and Conflict Resolution
    School of International Service, American University
    Washington, DC

Appuis du public.

Les appuis qui comptent, ceux du public, commencent à rentrer.
En voici un exemple.
    From: "Christine Lessard"
    To: <hugo@reporters.net>
    Subject: solidarité
    Date: Wed, 27 Mar 2002 11:49:12 -0500

    [...] Les portraits de vos collègues "temporaires", incroyables. Je vous comprends bien de parler de précarité. J'ai 35 ans, et depuis qqs mois seulement, j'ai "un gros poste" d'équipe volante à temps partiel comme infirmière. J'étais là quand nous avons grèvé il y a près de 3 ans. Heureusement pour moi, je partais en congé de maternité déjà annoncé juste avant le début du conflit. Alors, je n'ai pas perdu ni eu de pénalité, perte d'argent... juste la prime collectivement redivisée après le bilan : un montant de près de $500.00. Et les gains: j'ai eu un rattrapage salarial intéressant, car détenant un degré universitaire (et une simple dette de $19000), on m'accorde une équité avec les travailleurs sociaux du réseau qui sont à $3000 de plus! J'aurais dû être T.S. avant ça!!
    Mais bref, là où je veux vous dire que je trouve votre lutte et vos réfléxions similiaires, c'est qu'en regardant la convention collective après coup, il n'y avait presque rien pour les statuts précaires (des temps partiels occasionnels, ou «TPO»), mais qui sont celles qui comblent une proportion importante des heures de soins.
    Et la banque n'aime pas ça des infirmières sans heures de travail garanties. Il n'y a que depuis 3 ans, avec la "pénurie", que les banquiers sont plus polis. [...]
    La reconnaissance n'est pas qu'une question de salaire. Avoir droit de s'offrir des congés "à traitement différé" quand on a un emploi instable, avec de jeunes enfants... mais non, il faut être titulaire d'un poste (sûrement la même chose que dans notre convention). Il y a sûrement des solutions mais elles demandent de l'imagination, ce que ne semble pas avoir ni votre syndicat ni votre employeur.
    En tant que payeuse d'impôt, j'aimerais bien réentendre mes compagnons de la radio: je ne pourrai pas écouter longtemps les autres postes.... mon cerveau va s'atrophier!
    Bonne chance et que le conflit se règle au plus vite
    Christine Lessard, Val D'or

Fast Company

Dans le thème «C'est quoi un blogue?», lire l'excellente analyse de Fast Company (en inglès, por supuesto).

Appuis

Oublié de souligner, hier, que Alexa McDonough appuie le SCRC... Un appui de taille... Un impact majeur... Tuons la une...
À quand la pareille du Blogue Québécois?
En attendant, les deux parties se parlent à nouveau. Elle est là, la victoire.

mercredi, mars 27, 2002

Julie Gagnon

Julie Gagnon, 27 ans, a un grand coeur.

Julie Gagnon sur les lignes de piquetage

Travailler à Radio-Canada était son rêve. Elle l'a réalisé en octobre 1999 en étant embauchée au service du sous-titrage pour les malentendants (vous savez, ces textes qui apparaissent au bas de l'écran ne sont pas générés par des ordinateurs): «Je me considère chanceuse, dit-elle, je n'ai travaillé qu'un an et demi sur appel.» D'autres collègues l'ont été jusqu'à cinq ans, insiste-t-elle pour montrer qu'elle ne s'en est pas si mal tiré. C'est qu'il y a des degrés de précarité: «Je veux pas avoir l'air de me plaindre le ventre plein», insiste-t-elle souvent au cours de l'entrevue en pensant aux autres, moins bien nantis.
Pendant cette première année et demi sur appel, elle occupait un autre emploi dans un organisme communautaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve, le Journal de la rue du Café Graffiti: «C'était débile! Je travaillais 20 jours en ligne!» Mais elle a enduré ce régime d'enfer parce qu'elle tenait à faire son chemin au sein de Radio-Canada: «C'était l'image, le prestige, la façon de traiter l'information... TQS, le Journal de Montréal, ce n'est pas ça que j'aime.»
Depuis bientôt un an, le 31 mars 2001, Julie est passée au «next nevel» en devenant temporaire sur la base d'un contrat annuel. Ici encore, elle voit le bon côté des choses: «Je ne fais plus de fins de semaine, c'est le gros luxe! Trois semaines de vacances, des assurances, chu gras dur!» lance-t-elle sans ironie, encore une fois en pensant à tous ses collègues qui n'ont pas ces avantages.
Et pour la suite, elle aimerait bien être recherchiste. Mais elle hésite: «Elles, leurs contrats ne sont renouvelés qu'aux trois mois. Moi, je suis à l'année!» Et puis, pour devenir recherchiste, il faudrait qu'elle démissionne de Radio-Canada en tant que sous-titreure. Elle perdrait toutes ses années d'ancienneté. Ça, elle a du mal à comprendre ça. Elle avait l'impression que Radio-Canada était une entreprise homogène et non une fédération de services distincts.
Mais elle n'ose pas s'en plaindre. En fait, pour elle, la précarité est une question de génération: «En partant, dans ma vie, je me suis fait à l'idée que peu importe où je travaillerais, je ne serais jamais permanente.»
Un peu plus tôt aujourd'hui, un autre collègue plus âgé m'a raconté quelque chose de semblable: «Tu sais, on n'a pas le choix, c'est un courant de société, de plus en plus d'entreprises vont recourir à des employés temporaires, sur appel.»
En somme, la permanence est en voie de disparition et c'est ainsi. C'est vrai, au fond: les forêts sont coupées à blanc en Amazonie, à Bornéo, c'est comme ça que l'industrie fonctionne et bientôt il n'y aura plus d'arbres, alors à quoi bon s'opposer aux coupes à blanc en Abitibi?
Mais le coeur de Julie est si grand qu'il peut aisément contenir tous les arbres de l'Abitibi.

Multiplions les blogues

Y a-t-il des projets de blogues chez les éducatrices en garderie?
Chez les ouvriers de Bombardier?
Chez les chauffeurs d'autobus de la STL?
Chez les futurs ex-employés de la fonderie Gaspé de Murdochville?

Sur les piquets

Fin d'après-midi tranquille sur les piquets.
On attendait impatiemment le verdict du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) sur la question que lui posait le syndicat: le lockout décrété par Radio-Canada dans la nuit de vendredi à samedi est-il illégal?

Michel Couturier venant nous livrer le verdict

Quand on a vu l'air du président de notre syndicat, Michel Couturier, au moment où il est venu nous donner la nouvelle, on a compris que le verdict n'était pas jojo. Le lockout est légal. La grève de 24 heures du syndicat également l'était. C'est donc un verdict mi-figue mi-raisin, une demi-victoire, ou une demi-défaite.
Bref, je comptais sur une décision qui invalide le lockout pour reprendre le travail demain. Faudra encore faire les piquets...

Move over, Véronique Cloutier!

Heureusement, pour nous dérider, moult poètes ont imaginé des slogans percutants à écrire sur les pancartes. Voici mon préféré, tenu par Andrea Beaubien (je propose un amendement à La Fureur, de remplacer Véronique Cloutier par Andrea Beaubien. Il y a des appuyeurs?).

Ici Alain Picard, TVA, Montréal

Encore plus rigolo, cette visite de notre collègue Daniel Renaud de TVA. Après avoir interviewé Marie Malchelosse des sports et Pierre Maisonneuve, il s'est fait détourner son micro par Alain Picard, qui a fait mine de l'interviewer à son tour, le plongeant dans un embarras amusé («c'est que, voyez-vous, les amis, j'ai un topo à livrer, moi», peut-on lire dans son visage).
En nous quittant, faisant allusion aux négociations qui démarrent le 4 avril entre son syndicat et Pierre-Karl Péladeau, il nous a dit: «Bientôt, c'est vous qui allez nous couvrir...» Optimiste, le Daniel!

Pierre Maisonneuve
J'admire l'aplomb de cet homme.

Dommages collatéraux...

Maryse Pagé écrit quelque chose d'inquiétant:

    «Savez-vous qu'une cinquantaine de réalisateurs non-permanents bien sûr finissent leurs contrats vendredi et que R-C leur a appris qu'ils n'étaient pas renouvellés dû à notre conflit!!! Ils sont en beau fusil.
    Quant à moi, recherchiste sur un projet spécial du 50ième au secteur jeunesse, il m'arrive la même chose. Je termine demain et malgré le fait que je devais continuer pour deux mois, on ne me renouvelle pas. Espérons que le chômage ne me niaisera pas.
    Radio-Canada pourrait quand même arrêter son lock-out pendant que ça négocie non???»


Des dizaines de personnes vont perdre leur job. Des dommages collatéraux à ce conflit...
Imaginons, situation purement hypothétique, que les enseignants soient mis en lockout par le ministère de l'Éducation et que, parce que les écoles sont fermées, le gouvernement mette à pied les orthopédagogues ou les psychoéducateurs, ça serait en quelle position dans le lineup du Téléjournal à votre avis?

Pierre-Marcel Veilleux


Pierre-Marcel Veilleux


Pierre-Marcel Veilleux, précaire extrême


Pierre-Marcel est entré à Radio-Canada à 20 ans. Il se souvient même de la date exacte: le 23 février 1978!
24 ans plus tard, il est encore temporaire! Pierre-Marcel prend ça avec une rafraîchissante sérénité. D'autant plus qu'il n'est pas seul. Un de ses confrères, Jacques dont-je-ne-connais-pas-le-nom-de-famille-et-que-j'ai-cherché-en-vain-à-l'assemblée-générale, a 20 ans de temporariat dans le c.v.
Durant les deux premières années de P-M dans la boîte, il travaillait sur appel pour le service de documentation écrite, service qui l'a embauché sur un contrat annuel dès 1980. En 1981, un autre contrat annuel. Puis un autre en 1982. Et encore un en 1983. Et, tiens, un cinquième en 1984. Pas encore certain des qualités de P-M, Radio-Canada ne retient ses services que pour une année encore, une sixième fois, en 1985. Le manège dure jusqu'en 1995. Quinze ans de contrat annuel en contrat annuel.
En 1995, il change de service à l'intérieur de Radio-Canada pour passer à la documentation visuelle. C'est comme s'il était débarqué de la planète Mars puisqu'il perd ses 15 années de service et repart à zéro comme temporaire. Il l'est encore, sept ans plus tard, parce que le poste qu'il occupe serait en théorie celui de quelqu'un d'autre. Pierre-Marcel est philosophe: «Je réponds à un besoin temporaire perpétuel!»
Je fais affaire avec Pierre-Marcel et tous ses confrères et consoeurs de la documentation visuelle depuis plus de ans. Leur travail consiste notamment à retrouver des images précises en fonction de ce que journalistes ou réalisateurs leur demandent. Ils doivent fouiller dans les millions d'archives de Radio-Canada. Souvent, ça revient à trouver une aiguille non pas dans une botte de foin, mais dans une grange. Et ils réussissent! Sans jamais perdre le sourire, avec un souci professionnel exemplaire. Bref, ce n'est *vraiment* pas parce qu'ils font mal leur boulot que P-M et Jacques sont temporaires, j'en témoigne avec enthousiasme et je ne suis pas le seul.
«J'y tiens pas mordicus, à la permanence», souligne Pierre-Marcel. Son statut ne l'a jamais empêché de faire quoi que ce soit, pas même de «replacer» ses patrons de temps en temps: «Si tu te mets un obstacle, tu restes dans ton petit appart, pis tu fais plus rien, dit-il. Je n'ai jamais senti que j'avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête.»
«Si j'avais obtenu une permanence après trois ans à Radio-Canada, reprend-il cependant, j'aurais eu un méchant bon fonds de pension!» Et à 44 ans, il se dit toujours aux aguets, car s'il y avait d'autres coupures à RC, il serait parmi les premiers devoir retomber sur ses pattes.

mardi, mars 26, 2002

Maryse Pagé


Maryse Pagé


Maryse Pagé, recherchiste, un métier qui est à l'information ce que les infirmières sont à la santé


Mise en garde: Maryse est la soeur d'une collègue et amie, Martine Pagé (qui avait son blogue avant moi), avec qui j'ai travaillé à l'émission Branché. Bon, les disclaimers sont réglés. On peut commencer.
«Précaire, ce n'est plus le mot», laisse tomber Maryse, 39 ans, dans un long soupir quand je lui demande de me raconter son histoire. Avant que n'éclate le conflit, elle travaillait à la recherche pour une l'une des émissions spéciales prévues pour le 50e anniversaire de Radio-Canada, celle axée sur la jeunesse: «J'ai visionné des heures de Bobino, de Fanfreluche... C'est le plus beau projet de ma vie... et il faut qu'on tombe en grève!»
Tout au long de ses 15 années de carrière, elle a bien connu le privé pour avoir été recherchiste de gros canons de la radio comme Franco Nuovo, Marie Plourde ou Serge Bélair, ou encore pour avoir travaillé pour Point Final, la boîte de production de TQS: «L'enfer, dit-elle. Christie qu'on est bien à Radio-Canada!»
Maryse a commencé sur le projet du 50e-jeunesse avant Noël. On lui a fait signer un premier contrat de 12 semaines (un contrat de 13 semaines lui aurait fait bénéficier de tous les avantages sociaux de la convention collective...). À Noël, elle a eu deux semaines de «congé» sans être payée; ensuite Radio-Can lui a fait signer un deuxième contrat de 12 semaines, contrat devant s'achever le 31 mars.
Se demandant si elle pouvait avoir un contrat de 13 semaines, elle se souvient avoir téléphoné au syndicat en septembre: «Ils m'ont répondu qu'ils ne pouvaient rien faire pour moi.» Plus tard, lorsqu'elle a recommuniqué avec le syndicat sur un autre dossier, on s'est tout à coup intéressé à son cas: «Ils me disaient qu'ils avaient besoin de faire des griefs.» C'était l'époque du dernier droit de négociation avant l'actuel conflit...
Maryse s'est sentie entre l'arbre et l'écorce: «Mais c'est pas grave, dit-elle, chu habituée... Chu habituée, mais chu tannée aussi.»
Quand on l'écoute raconter ses aventures professionnelles, ses navigations de contrat en contrat (elle a aussi travaillé quatre ans à Vazimolo, défunte émission pour les enfants de Radio-Canada... mais pour ses actuels patrons, c'est comme si ces quatre années n'avaient jamais existé), on a l'impression d'entendre un pilote de voilier relater ses périgrinations, d'île en île.
Et on se dit que Maryse a bigrement besoin d'un continent.

Alex Freedman


Alex Freedman


Alex Freedman, journaliste, première chaîne radio anglaise


Alex Freedman, 26 ans, une carrière qui démarre à peine (bientôt un an), est en faveur de la précarité. Quand on le regarde avec des gros yeux, il précise sa pensée.
Il n'est pas d'accord avec une demande du syndicat voulant que des listes de rappel soient réinstituées à Radio-Canada. Pour le moment, un employé temporaire doit accumuler 300 jours de travail dans un poste donné avant d'être inscrit sur une «liste» qui ne sert, en somme, à rien. Dans le cadre des négos actuelles, le syndicat veut réduire cette période d'essai pour les temporaires à 150 jours, au terme desquels ceux-ci seraient inscrits sur des listes de rappel où les plus anciens auraient priorité sur les plus récemment inscrits.
«Ce n'est pas comme ça que le marché fonctionne», dit Alex. «Si t'es bon, ils te gardent. Et si t'es pas bon, eh bien...» Le métier de journaliste est exigeant parce que le public pour lequel on l'exerce le mérite. Selon lui, des permanences accordées trop tôt ne militent pas en faveur d'une meilleure information pour le public. Les précaires, dit-il, doivent donc faire leurs preuves, et il est prêt à passer par n'importe quel test pour faire les siennes. «Après avoir prouvé tes compétences, prévient-il cependant, là il faut qu'on te donne une job.»

Extraordinaire assemblée


Les débats ont débordé jusque là




Même dans les salles de bains de l'hôtel Sheraton Centre, où avait lieu cette extraordinaire assemblée, on ne pouvait échapper aux discussions, débats et échanges d'information.
Elle me faisait peur, pourtant, cette assemblée au départ. Hier, sur les piquets, on a clairement senti un abcès. D'un côté on se faisait accuser d'être des «vendus aux boss» si on affichait la moindre sympathie pour la partie patronale; de l'autre on était traité de «stalinien» ou de «nostalgique de l'Albanie» si on défendait un tant soit peu la position du syndicat.
Les esprits commençaient à s'échauffer et je craignait que tout explose aujourd'hui, ce qui aurait laissé les membres plus divisés que jamais.
C'est tout le contraire qui s'est produit.
Les plus «crinqués» ont laissé ventiler un peu de vapeur en début d'assemblée, puis, les précaires ont exposé, comme ils l'avaient fait à l'assemblée d'il y a dix jours, leur précarité. Calmement. Résolument. Résultat: ils ont gagné encore plus de membres à leur cause.
Plusieurs interventions au micro m'ont touché.
Il y a eu notamment celle de Bernard St-Laurent, journaliste et animateur d'expérience à la radio anglaise. Il a fait écho à ma crainte que le conflit ne dure longtemps en donnant cet exemple: «J'ai deux enfants à l'université et c'est eux ma priorité.» J'ai pensé aux miens et me suis demandé si je ne devais pas penser à eux d'abord, me rappelant cette chanson de Renaud qui dit que trop d'enfants ont souffert «Pour les idées de leur père».
Mais c'est celle de Pierre Maisonneuve qui m'a le plus impressionnée. Il a raconté un brin de son histoire: «J'ai commencé à Radio-Canada en 1971. J'ai eu une semaine de formation, trois semaines de probation, et ensuite on me donnait ma permanence.» Plus loin, il a ajouté: «Quand j'ai déménagé d'Ottawa à Montréal, je n'ai pas été obligé de démissionner d'abord.»
Tout ça pour dire qu'il a hérité de conditions qui étaient le fruit du combat de ses aînés à lui. Et à l'entendre, on le sentait mal de laisser aux plus jeunes un bien maigre patrimoine.
Ce fut l'intervention clé. Celle qui en a poussé plusieurs à renouveler leur confiance aux dirigeants du syndicat pour qu'ils retournent à la table de négociation pour régler cette question de la précarité avec Radio-Canada, une confiance renouvelée à 90,4%. Personne ne s'attendait à un vote aussi fort! Les plus vieux n'avaient jamais vu ça et je vous assure que c'était beau à voir.

Rumor check

J'arrive à peine de l'assemblée générale extraordinaire à plus d'un titre!
J'ai d'abord fait du «rumor check». Les rumeurs 1. et 3., citées dans le post précédent, se sont avérées. La rumeur 2. s'est infirmée: si le cellulaire de Michel Desautels a cessé de fonctionner, c'est parce qu'il était rendu en Jordanie. La rumeur 4. s'est révélée sans aucun fondement: de nouvelles offres il n'y a point eu. Il y a eu beaucoup mieux! (suite au prochain post).

lundi, mars 25, 2002

Déjà fini?

Bruits et rumeurs des lignes de piquetage, ce lundi.
1. Deux collègues enceintes en congé préventif auraient vu leur billet de médecin (qui les sort de la salle de nouvelles, milieu de travail on ne peut plus stressant, c'est à Radio-Canada ce que la salle d'urgences est à l'hôpital Saint-Luc) contesté par Radio-Canada la semaine dernière. Politique de la direction, paraît-il, que de contester tout billet médical! Triste de voir que des humains prennent des décisions pareilles.
2. Les cellulaires fournis par RC ne fonctionnent plus depuis vendredi avant-midi. Un moindre mal si on travaille à Montréal. Mais les copains de Sans Frontières qui sont en Israël et dans les Territoires sont soudain incomunicado... En zone de guerre, un cellulaire peut vous sauver la vie.
3. Ma collègue Isabelle Richer, dont le feu sacré me réchauffe souvent, a été vue aujourd'hui au procès de Maurice Boucher prendre des notes, ce qui a révolté certains militants qui ont vu là un manque flagrant de solidarité. D'autres militants seraient aller l'intimider. Mais laissez-la donc, bordel! Si le conflit est court, comme le prétendent les dirigeants du syndicat, il faut qu'elle soit dans ce tribunal pour n'en rien manquer et faire un boulot de pro lorsque Radio-Can lui permettra de le faire (son boulot).
4. Justement, une dernière rumeur voudrait que Radio-Canada fasse ce soir de nouvelles offres à être présentées à l'assemblée générale de demain. Ces offres seraient moins généreuses sur le plan salarial (ce qui ne me dérange pas d'un iota) pour accorder de meilleures conditions aux trop nombreux précaires. Cela reste à voir.
S'il y a bel et bien de nouvelles offres et qu'elles ressemblent à ce que les rumeurs décrivent, l'assemblée va être sereine.
Mais si rien de nouveau n'est présenté, ça va être rock'n'roll... Il va y avoir choc d'idées, mais je doute que la lumière jaillisse...

Barbara Debays

La précarité peut prendre de multiples visages.



Les chefs d'antenne de l'heure du souper


Raymond Saint-Pierre et Dennis Trudeau étaient sur les lieux, comme de nombreux autres animateurs.
Man in the middle is unidentified.


Il y avait plus de monde sur les lignes de piquetage aujourd'hui qu'hier. Une sympathique ambiance régnait. Plusieurs automobilistes circulant sur René-Lévesque ont klaxonné pour signifier leur appui, sans compter les nombreux chauffeurs de la STM, d'Hydro-Québec, de TVA (mets-en, c'est bon pour eux qu'on ne travaille pas!). Et il y avait les visages connus, les «vedettes». Ça m'a rassuré sur la solidarité de ceux qu'on réduit trop souvent à des «six chiffres».


Parlant de chiffres, parlons de Barbara: «32 ans, 32 mille piasses de dette étudiante».



Barbara Debays


Barbara Debays, journaliste aux nouveaux médias


J'ai connu Barbara Debays il y a une dizaine d'années alors que j'organisais un atelier de journalisme à l'Assemblée nationale. Ça s'appelait la Tribune parlementaire jeunesse et Barbara était une journaliste étudiante (U. Laval), freak à l'extérieur, rigoureuse à l'intérieur.
Je ne l'ai recroisée qu'il y a deux ans, lorsqu'elle a été embauchée par le secteur des Nouveaux médias. Barbara met en ligne des contenus d'information sur les sites web de Radio-Canada, comme le site des nouvelles, par exemple (difficile à hacker, certains ont essayé paraît-il). Barbara est temporaire depuis deux ans.
Ses horaires ne sont connus que le jeudi ou le vendredi. Difficile pour elle de planifier quoi que ce soit, ne serait-ce qu'un souper entre amis, puisqu'on peut l'affecter au site du Point, qui exige qu'elle tienne le fort jusqu'à 23 heures et même plus.
Remarquez, la précarité, elle connaît. Elle a fait plusieurs années de journalisme écrit à la pige au début des années 90. Elle a notamment séjourné à deux reprises en Bosnie, en 1993 en plein siège de Sarajevo, puis en 1996 après les accords de Dayton. Elle a publié ses reportages dans Voir, édition Québec. Vingt-cinq dollars le feuillet! Et elle est allée là-bas à ses frais. Pas payant ben ben...
Elle a également été surnuméraire à La Voix de l'Est et au Droit, les quotidiens de Granby et d'Ottawa, respectivement.
C'est pendant son passage au Droit qu'elle dit s'être écoeurée du métier: «J'ai repêché du cadavre. Une jeune fille s'était noyée et le photographe du journal et moi sommes arrivés en même temps que les parents. Ma tête de journaliste me disait qu'il fallait que je recueille leur témoignage, mais mon ventre disait non.»
Elle a alors effectué un retour aux études, qu'elle a interrompu il y a deux ans quand Radio-Canada l'a recrutée dans l'équipe des Nouveaux médias: «C'est la meilleure job que j'aie jamais eue», dit-elle. Pourquoi alors se retrouve-t-elle sur la ligne de piquetage, une pancarte à la main?
Elle réfléchit un moment.
Je lui souffle la réponse, et elle hoche de la tête quand je lui dis: «32 ans, 32 mille piasses de dette»?

dimanche, mars 24, 2002

Éric Barbeau

J'ai eu une idée la nuit dernière, celle qui porte conseil. Chaque jour que le lockout se poursuivra, je ferai le portrait d'un-e collègue qui travaille dans la précarité. Ça mettra un visage sur une abstraction. Voici donc le premier.



Éric Barbeau


Éric Barbeau, lecteur de nouvelles surnuméraire (entre autres), première chaîne radio


Éric célèbre cette année ses 10 ans à Radio-Canada. Célébrer... façon de parler.
Son parcours de carrière ressemble à une nouvelle discipline olympique issue du croisement entre le slalom géant, le steeplechase et le pingpong extrême. Il a commencé, comme bien des collègues, à faire des remplacements l'été. C'était en 1992 et il était heureux de pouvoir faire entendre ses reportages à des émissions comme Tout compte fait ou Dimanche magazine. Il a fait deux étés comme ça. L'hiver, il travaillait à Vancouver comme journaliste intervieweur à l'émission du matin de la radio. Il se souvient encore des premières félicitations qu'il a reçues de son patron, félicitations accompagnées d'une mise en garde: «By the way, nous pouvons te mettre à la porte à une semaine d'avis... j'te dis ça de même.»
En 1994, il décroche ce qu'il appelle «mon premier vrai contrat» pour l'émission Tout compte fait. Il est basé à Québec. Tout se passe bien pour lui. Il obtient plus de 80% dans ses évaluations. On fait appel à lui pour un deuxième contrat annuel. Sa première enfant voit le jour à cette époque, en août 1995. Pendant son congé de paternité, il apprend que Radio-Canada ne lui fera pas signer de contrat pour une troisième année, ce qui lui aurait donné accès à la permanence.
Son parcours se poursuit aussitôt puisqu'il se fait rapidement engager par La Facture à la télévision comme correspondant à Québec. Il fait deux contrats «annuels» de 39 semaines. Les 13 semaines restantes, il travaille dans la salle de nouvelles télé de Radio-Canada, à Montréal, «au lieu d'avoir des vacances, comme tout le monde».
Après deux ans, La Facture l'aime tellement qu'on veut le faire travailler à Montréal. Il accepte, mais il doit renoncer à ses deux années d'expérience à Québec. Le compteur d'Éric est remis à zéro. C'est au cours de cette troisième année à La Facture qu'il tombe malade et que son contrat ne sera pas renouvelé.
Nous sommes en 1999. Il retourne à la radio où il «bouche les trous», selon sa propre expression, comme journaliste et comme lecteur de nouvelles depuis ce temps. Au cours d'une séance d'évaluation, il obtient de bonnes notes dans tous les aspects de son travail, sauf sur le plan de son «attitude». Son parcours de carrière serait trop chaotique et dénotait un «manque d'engagement» envers Radio-Canada. Éric n'en revient pas. Vancouver, Québec, Montréal: Éric a toujours été heureux de prendre ce que Radio-Canada lui donnait, et maintenant, il se le faisait reprocher: «J'ai 35 ans, deux enfants, c'est extrêmement difficile de se projeter dans l'avenir quand t'es toujours sur la corde raide.»
La précarité ne l'a jamais empêché de faire quoi que ce soit, souligne celui qui n'a jamais milité dans le syndicat, de peur de se faire étiquetter comme troublemaker. Mais il souhaiterait seulement que l'engagement que Radio-Canada exige de lui soit réciproque.



Éric Barbeau