Pour le proprio de
Jacques-Cartier Hot-dog, Spiro Georgakis, les lockoutés de Radio-Canada sont tous des
moumounes.
«Je reste à Cartierville, dit-il. Et les grévistes de Bombardier, eux autres, y
bloquent le boulevard Marcel-Laurin. Kessé vous attendez, vous autres?»
C'est que Spiro a hâte que ça finisse, lui aussi. Depuis le début du lockout, son chiffre d'affaires a baissé de 25% dit-il. «Le midi, avant, c'était plein de monde de Radio-Canada.» En ce 35e jour de conflit, vers 13h, son restaurant de 52 places ne compte que 8 clients, dont deux radio-canadiens seulement.
Et si ce n'étaient que les lockoutés qui ne venaient plus, ce ne serait pas si mal. C'est que même les employés toujours à l'ouvrage ne sont plus au rendez-vous: «Ça leur tente pas de traverser le piquetage», déplore Spiro, qui dit néanmoins en avoir vu d'autres: «C'est ma troisième grève [NDLR: il veut dire «lockout»] en, quoi, deux ans. Je vais passer au travers.»
De son comptoir, une petite institution de la rue Sainte-Catherine, Spiro est bien placé pour entendre la rumeur du quartier. «Et vous savez quoi, demande-t-il? J'écoute le bla-bla aux tables, et les gens du coin en parlent
jamais de votre affaire. Quand ils en parlent, vous savez ce qu'ils disent? Que vous êtes des enfants gâtés.»
C'est pour cela qu'il suggère une radicalisation des cadenassés, toujours selon la méthode Bombardier: «Les gars de Bombardier, y font du piquetage 24 heures sur 24. Je le sais, je passe souvent devant. Ils ont quatre entrées à couvrir, comme vous autres. Ils sont 100 gars à chaque entrée et y bloquent les chars, eux autres. Le soir, quand je sors du restaurant, ya pas un chat devant Radio-Canada.»
Même scénario chez le voisin de Spiro, le resto mexicain
Mañana est pratiquement désert. Marlène Godin ne sourit que pour la photo. Ici, la clientèle a baissé d'au moins 30%, une diminution visible surtout à l'heure du lunch!
«Une chance que l'été s'en vient, dit Marlène, on va pouvoir compter un peu plus sur les touristes. L'hiver, le gros de notre clientèle, ce sont les gens de Radio-Canada.»
Mais ce n'est pas la cataschtroumpf partout. Chez
Oeufs-Rêka, pourtant situé sur le boulevard René-Lévesque, juste en face de Rad-Can, le proprio Alain Olivier rapporte une légère augmentation du chiffre d'affaires depuis le début du lockout. C'est que son établissement, qui va bientôt changer de nom pour «Le Boulevard», a eu la bonne idée d'offrir a tarif spécial pour les lockoutés des paninis le midi. Les cadenassés affluent.
Il est conscient, cependant, que le conflit a un impact sur l'économie locale: «J'habite en haut de
La Diva [un autre resto situé sur René-Lévesque], et je peux te dire que depuis un certain temps, ça semble assez tranquille. Par contre, je parlais récemment avec le propriétaire d'
Ôgato [resto de la rue Ste-Catherine, cette fois], et il me disait que lui, il ne subissait aucun impact.»
C'est qu'il n'y a pas que des radio-canadiens dans le quartier. Paul Haince dirige l'
Association des commerçants et professionnels du Village, qui regroupe 120 membres dont aucun ne s'est plaint du lockout, dit-il. La communauté gaie est le moteur économique du quartier, bien plus que Radio-Canada. Quoiqu'en discutant, M. Haince remarque que «j'arrive de dîner au
Sky et, c'est vrai, il n'y avait pas plus de 10 personnes, ce qui ne m'apparaît pas normal».
Le plus gros impact du lockout, dit-il, c'est qu'il est forcé d'écouter ses nouvelles ailleurs, «et TQS, ça me branche pas tellement».
À l'épicerie fine
Le gourmet des faubourgs, rue Ste-Catherine, Mathieu Boileau rapporte que l'impact du lockout est minimal: «Disons que c'est moins régulier que d'habitude, tout simplement. On aurait cru que ce serait pire. Ils viennent quand même, les gens de Radio-Canada. Et on les reconnaît toujours. C'est seulement moins régulier.»
En fait, plus on s'éloigne de l'alimentation et de la restauration, moins le lockout semble avoir d'impact. «Ça ne me touche pas vraiment», indique Annie Larocque, gérante du
Dépanneur du Village, rue Ste-Catherine toujours. «Les piqueteurs, on les reconnaît quand ils rentrent, avec leurs
stickers, mais j'ai pas vraiment remarqué de baisse de clientèle. On dessert tout le quartier, vous savez.»
Et dans les commerces pas du tout reliés à l'alimentation, qu'en est-il?
Au sauna
L'Oasis (pour ceux qui ignorent ce qu'est un sauna, voyez le site d'un homonyme
à Brighton), le préposé à l'accueil, Roger Vigneault, répond tout de suite: «Ah! On a une grosse baisse de clientèle!»
Ah bon? Mais il précise que c'est normal à cette période de l'année: «On baisse toujours après Pâques, quand il se remet à faire beau et que la sève coule», dit-il. Les temps forts de son commerce sont l'hiver, «et beaucoup l'automne, souligne-t-il, avec le Black & Blue, pis tous les touristes qui viennent à Montréal».
Et il enchaîne sur la radio de Radio-Canada qui lui manque beaucoup: «Le matin surtout. J'écoutais toujours René Homier-Roy, et Joël Le Bigot la fin de semaine. Maintenant, bien, j'écoute Paul Arcand à CKAC.
– Et comment le trouvez-vous?
– Ben... savez-vous, y'est bon!»
Photos prises mercredi dernier, 24 avril.