Météo exécrable et Canadien exécrable aussi n'ont pas fait l'objet d'une seule conversation, aujourd'hui, sur les piquets à Montréal. Les sujets du jour étaient les plus récentes offres finales-bâton de la direction et l'assemblée générale extraordinaire de demain, à Laval.
Les membres que je connais étaient partagés à peu près kif kif, la moitié se disant prête à rejeter les offres parce qu'elles ne sont qu'à demi-satisfaisantes, l'autre moitié étant prête à les accepter parce qu'elles sont satisfaisantes à demi (et que c'est mieux que rien). On nage toujours en plein délire Mini-Wheat.
Sur le trottoir et dans le local de lockout (plus sec et plus chaud) j'ai donc abordé des cadenassés m'étant inconnus pour leur demander leur réaction à eux.
Première rencontre, porte Wolfe, avec Gaétan Cloutier, documentaliste travaillant à la bibliothèque. Il fait partie des 85 contractuels qui auraient été permanentisés en vertu des offres patronales déposées pré-conflit. Cela ne l'a pas empêché de voter contre ces offres il y a deux mois. Et, «à moins que l'exécutif du syndicat nous dise de voter pour parce qu'on ne peut pas aller chercher plus», il songe à rejeter la dernière version des offres. «Je trouve profondément regrettable, dit-il, que la partie patronale joue le secteur de l'information
versus le reste.» Les offres de permanentiser 132 personnes ne touchent en effet que les employés du secteur de l'information et oublient ce qu'on appelle la télé et la radio «générales», des gens comme Marie-France Bazzo et son équipe, notamment, pour ne citer qu'eux puisqu'ils ont fait l'objet de portraits dans ce site.
«Je trouve ça inimaginable de laisser tomber autant de monde», dit-il, en ajoutant qu'il a été «écoeuré» de voir la direction déposer des offres alors que les négociations n'étaient même pas encore terminées.
Selon lui, les offres se méritent une note de 50% (100% correspondant aux demandes issues de la dernière assemblée générale)
Deuxième rencontre au petit bonheur la chance, celle de l'annonceur radio Jacques Clermont et de la concepteure-rédacteure au service de l'autopub Nicole Blais. Leur opinion est, comme celle de Gaétan Cloutier, négative.
Nicole se dit outrée de l'attitude de la direction qui a déposé des offres en ignorant le comité de négos. Elle est par ailleurs «extrêmement désolée qu'il n'y ait rien dans les offres pour les gens de la radio générale, c'est méprisant pour les gens qui nous donnent ce beau contenu».
Jacques lui aussi constate que «le mandat culturel de la radio est complètement évacué, et c'est ce que je déplore. Dans l'autobus dans lequel on se trouve, c'est tout le
showbusiness qui devrait maintenant se mobiliser». Selon lui, après avoir mené une bataille contre la précarité, «le véritable combat, c'est la redéfinition du mandat culturel de Radio-Canada et ça, ce n'est pas juste notre syndicat qui va devoir s'en occuper».
Il s'interroge cependant sur la stratégie à adopter pour mener cette nouvelle lutte: rejeter les offres et faire une grève pour amener le débat sur la place publique, ou accepter les offres et faire le débat à l'interne.
À son avis, les offres se méritent une note de 50%.
Pour Nicole Blais, la note monte à 60%, «mais pour l'attitude, je ne donnerais que 10%», ajoute-t-elle.
Au local de lockout, Marie Malchelosse et Laurent Lavigne m'ont remis mon dernier (dans le sens de plus récent) chèque de lockout. J'avais déjà rencontré Marie, mais Laurent, c'était une découverte.
Affectateur pour les nouvelles de la radio anglaise, lui aussi s'apprête à rejeter les offres même si, personnellement, il lui serait profitable de les accepter: «J'irais chercher la parité avec la Guilde [le syndicat qui regroupe les artisans de l'information travaillant pour Radio-Canada à l'extérieur du Québec et de l'Acadie], ce qui fait que mon salaire passerait de 55 000 à 63 000. Mais il y a trop d'autres personnes que ces offres laissent tomber, dit-il, tous ceux du service nordique, de Radio Canada International, de la radio et de la télé générale.»
Le lockout a suscité un fort sentiment de solidarité, dit-il, et il faut continuer à penser aux autres: «Ils nous divisent. C'est les grandes gueules de l'information contre tous les autres. Rendus où on est, il ne faut pas lâcher parce que tout sera à recommencer dans deux ou trois ans.»
Selon son évaluation, les offres se méritent une note de 40% à 50%.
Au milieu de la salle, une demi douzaine d'inconnus discutent. Je leur demande si les offres leur plaisent. Réprobation générale. Tout le monde hoche de la tête en écarquillant des yeux.
Marie-Hélène Savard, assistante à la réalisation au service des ventes, se demande «où est rendu notre 3,5% de rattrapage qui était promis avant le conflit, et il est rendu où notre 3000 dollars de prime à la coordination, parce qu'on en a tous fait, de l'assistance à la coordination.» Elle admet qu'il y a des gains intéressants qui font reculer la précarité. Mais elle est permanente et «demain, on va voter contre parce qu'on considère qu'on n'a rien gagné», dit-elle en désignant les autres membres du groupe, assistants à la réalisation eux aussi.
Pour Linda Hermanovitch, assistante à la coordination à l'émission
Le Jour du Seigneur, ces gains se font au prix de dizaines de membres qui sont oubliés parce que, croit-elle, Radio-Canada sera partiellement privatisée pour ne conserver que l'information : «C'est pour ça que les postes permanents ne sont offerts qu'à l'information. Il n'y a rien pour la télé générale.»
Christian Pagé, assistant à la réalisation aux émissions spéciales de la première chaîne télé, se dit en outre choqué par l'attitude de la direction, malgré les gains: «Je me sens méprisé, dans la façon avec laquelle ces offres ont été présentées. En plus, avec ce qu'il y a dedans, ça aurait pu être présenté et réglé en une semaine. Mais là, après huit semaines de lockout, Radio-Canada vient d'économiser 10 millions de dollars sur notre dos.»
D'après lui, les offres se méritent une note de «pas plus que 40% ou 50%».
Linda Hermanovitch, elle, accorde une note de 50% et
Marie-Hélène Savard également note les offres à 50%, en-deça de la note de passage.
Devant le kiosque où Bertrand Hall vend ses CD du
Blues du lockout, Cécile Leclerc et Mélanie Ricard, sous-titreures, discutent des offres. Temporaires toutes les deux, elles font partie des gagnantes. Mais il y a un malaise pour Mélanie: «Les dés étaient pipés d'avance. J'y gagne, pourtant, mais je suis absolument prête à poursuivre la solidarité pour les autres, ceux qui ne gagnent pas.»
«Ça nous contenterait, enchaîne Cécile, mais pour le groupe, je dis non. Je serais prête à rester encore dehors parce qu'il y a des gens qui se sont battus pour nous. Tant qu'à être restés dehors si longtemps, pourquoi ne pas aller en chercher plus!» Elle rappelle que les prestations de lockout devaient bientôt être majorées à 400$ par semaine (non-imposables), ce qui rendrait un long conflit beaucoup plus endurable pour les membres, rentable, même, pour certains.
C'est elle qui donne la plus haute note aux offres, 70%, en soulignant qu'elles sont «quand même bien».
Tout près, je remarque un grand type que je me souvenais avoir vu au moment où Ghislain Picard, vp de l'Assemblée des Premières nations, était venu faire un discours d'appui, il y a plus d'un mois.
Stéphane Boisjoly fait partie des oubliés des dernières offres. Annonceur-réalisateur au Service nordique (et délégué syndical), il a un filet d'amertume dans la voix: «Pour nous, c'est un gros zéro, surtout que déjà, en partant, on est payés 5000 dollars de moins par année que les autres. Alors mes collègues et moi, on a perdu tout espoir.»
Le Service nordique, à Montréal, c'est neuf (9) personnes qui diffusent en cri et dans les deux langues officielles sur le nord du territoire québécois. Stéphane se dit parfois Québécois d'origine abénakise, parfois «Indien avec beaucoup de sang français». C'est peut-être le plus déçu de son groupe: «Mes collègues cris n'y croient plus, rapporte-t-il. Il ne croient pas qu'il soit possible d'obtenir quoi que ce soit de plus. Il faut dire qu'ils sont habitués de se faire oublier des gouvernements.» Il est déçu de la direction, d'abord, «qui sont au courant de l'iniquité depuis des années, mais qui ne font rien», mais il en veut également au syndicat: «J'ai l'impression d'avoir été carrément abandonné par le comité de négos. Beaucoup de gens à qui je parle regrettent que le syndicat ne se soit pas plus "servi" de nous que ça», dit-il, pour souligner que la discrimination envers les Autochtones est politiquement «vendeur».
Il estime qu'il est temps que le «spotlight» de la solidarité se tourne vers ses collègues et lui: «Tant que des groupes seront traités inéquitablement, fait-il valoir, on n'aura pas vaincu l'iniquité.»
C'est lui qui donne aux offres la note la plus faible, 35%, en faisant remarquer que seulement cinq des 10 demandes syndicales ont pu être abordées en négo et que les deux tiers de ces cinq points, selon lui, sont des gains réels.
Voilà. Dix inconnus sélectionnés au hasard selon une méthode aux antipodes de la science. Dix rejets des offres, ou positions qui tendent au rejet. Il faut dire que ces témoignages ont été recueillis au local du lockout, où l'ambiance était un peu survoltée, au lendemain du blitz. Reste à voir si l'indignation ressentie mardi va encore s'exprimer en assemblée générale mercredi et, surtout, comment elle va s'exprimer dans l'isoloir...
La seule unanimité: tout le monde s'attend à un vote serré d'environ 50% ± 10% dans un sens ou dans l'autre.