Le 5 mai prochain devrait naître le premier bébé du lockout. C'est en tous cas la date prévue de l'accouchement de Kathleen Lyons, 34 ans, recherchiste à
C'est bien meilleur le matin. Son copain, Christophe Guyon, 35 ans, recherchiste à
Sans frontières, espère que l'enfant naîtra le 1
er mai... pour le symbole! Et si c'est une fille, le prénom de Rosa ne lui déplaît pas... «Comme Rosa Luxembourg... Pourquoi pas», dit-il, sans que je puisse détecter s'il est sérieux ou non!
Le lockout est survenu à un bien mauvais moment pour eux. Kathleen aurait eu besoin de travailler jusqu'à la fin de son contrat avec l'émission matinale de la première chaîne pour avoir droit au congé parental d'un an: «J'avais besoin d'avoir travaillé 600 heures, et j'allais avoir 600 heures
flush à la fin de mon contrat qui finissait le 31 mars...» Mais le lockout, survenu le 23, prive Kathleen de son congé de maternité et de son congé parental d'un total de 52 semaines. Selon les exigences du
programme fédéral de congés de maternité et parental, la grève de 24 heures du 22 mars aurait peut-être pu la priver de ce congé de toutes façons puisqu'il faut travailler de façon initerrompue pour le même employeur pendant 6 mois pour y avoir droit.
Mais ce non-accès à son congé n'est pas le seul problème de la précarité, souligne Kathleen. Avant de travailler avec René Homier-Roy, elle était à la recherche pour
Matin Express weekend, sur RDI. Mais «j'ai une grande gueule, dit-elle, et c'est pour ça qu'on m'a viré». Et c'est précisément là le problème de la précarité dans une salle de rédaction. Tous les journalistes et les artisans de l'information savent que pour faciliter les échanges, les idées et la discussion, les salles de rédaction sont des milieux ouverts, physiquement parlant. Personne (à part les patrons) n'a de bureau fermé; personne, même, n'a de cubicule. Kathleen croyait qu'elle pouvait discuter ouvertement de tout, surtout de ce qui la dérangeait: «Il y a eu un changement éditorial à partir de juin 2001 environ, dit-elle. On s'est mis à vouloir faire concurrence à la télé commerciale, alors on s'est mis à faire de la télé commerciale.» En termes clairs: «Je me suis élevée contre cette espèce de façon de faire des "écrapous"!» Il y avait selon elle une trop grande emphase sur les faits divers à son émission et elle s'en est plaint ouvertement. C'est pour cette raison qu'elle a perdu son emploi, croit-elle: «J'étais pas la seule à penser ça, mais j'étais la seule à le dire. Les autres se fermaient la gueule. C'est pas normal que dans une salle de rédaction on se ferme la gueule.» La précarité étouffe l'expression des idées et des opinions, souligne-t-elle:
«Même les permanents ont peur de parler par crainte de se faire mettre sur une tablette. Imagine les précaires.»
Cet épisode la trouble d'autant plus qu'il a brisé l'image qu'elle se faisait de Radio-Canada: «Je viens d'une famille où on n'avait pas le droit d'écouter le canal 10», dit-elle pour montrer que son attachement aux ondes publiques vient de loin. Mais aujourd'hui, ajoute-t-elle dans le même souffle, «la majorité de ma famille n'écoute plus Radio-Canada».
En ce sens, elle trouve révélateurs les commentaires recueillis il y a quelques semaines par Louise Cousineau, de
La Presse, de
téléspectateurs qui disent préférer la version actuelle des nouvelles de Radio-Canada très axée sur la nouvelle internationale.
Technicienne en informatique, à l'origine, Kathleen a choisi le métier d'informer il y a cinq ans. Cours en journalisme international à l'Université Laval, stages à la
RTBF, puis aux bureaux de l'Associated Press à Bruxelles, pour ensuite passer à la radio de Radio-Canada, puis à RDI. Elle a choisi ce métier, mais aujourd'hui, elle a des doutes que le lockout ne fait qu'exacerber: «Ça va être une grosse année de mise au point pour moi, confie-t-elle. Après le bébé, je ne suis pas sûre de revenir à Radio-Canada.»
Christophe, lui, était beaucoup plus heureux: «L'ambiance de travail, à
Sans frontières, était extraordinaire.» Originaire de Saint-Malo, c'est parce qu'il voulait vivre le rêve américain qu'il est venu étudier à l'UQAM. Il est entré à Radio-Canada petit à petit, à coups de stages d'été, d'abord, en 1991 et 1992. Puis au
Point dès 1993: «J'ai tout fait. Téléphoniste. Puis j'ai eu de petits contrats de recherche du temps de Madeleine Poulin. Mais j'en ai eu marre de l'ambiance. Le climat que faisait régner le patron n'avait rien de très réjouissant.»
Après un bref passage à l'émission
Droit de parole à Télé-Québec, il revient à RC, mais à la radio, où il se trouve comme un poisson dans l'eau.
Il n'en est pas moins révolté par le lockout: «Le Français en moi est estomaqué, dit Christophe. Un "lockout", on n'entend jamais ça en France. C'est d'une sauvagerie sans nom.»
Kathleen et lui se tiennent prêts à vivre un long conflit. Et même avec un nouveau-né, ils disent tous deux avoir l'habitude de la précarité, alors le lockout les affecte peu sur le plan financier: «On a toujours des réserves, dit Christophe. Alors ça peut durer quelques semaines encore. On n'est pas pris à la gorge»... pour le moment!