Les anciens (radio-)canadiens
Il y a d'abord Saïd Ben Slimane, un ancien de RCI, qui envoie ce message de Tunisie.
Salut chers collègues en lock-out. Je suis votre ex-collègue de Radio Canada International, de SRC-TV et de la radio régionale (Alberta). De 1990 jusqu‘en 1993, j’ai travaillé à Montréal et à Edmonton. C’est dire si j’ai fait le tour de la question. C’est dire si j’ai fait l’expérience de la précarité de l’emploi. Malgré un doctorat français en poche. Malgré plus de 12 ans d’expérience internationale (en Afrique et en Europe).
Et si aujourd’hui, depuis ma Tunisie natale, je vous offre mon appui et toute ma solidarité dans ce conflit de travail, c’est du fond du cœur que je l’exprime.
Quand je travaillais à la télévision de Radio-Can, j’ai pu mesurer l’étendue de la solidarité dans cette bonne terre du Québec. Quand je collaborais à Radio Canada International, j’ai pu me sentir vraiment citoyen du monde et, en même temps, solidaire de ces 90 employés déchirés par des décisions iniques prises en haut lieu. Car les (petits et grands) patrons se sont débrouillés pour sauver leurs fauteuils respectifs. Les autres, les petits, les sans permanences, les SDF (Sans Droits Fondamentaux), qu’ils se débrouillent!
Quand j'ai commencé à Radio-Canada Montréal, on (qui se reconnaîtra) m’avait bien précisé que la permanence n’est pas de ce monde. Que la liste d’attente est bien chargée. Quand mes 150 jours de travail ont été atteints, il ne me restait plus que les régions. Adieu veaux, vaches, chameau, orignal...
Anna, Pierre, David, Aldo, Réjean, Bob, Wojtek, mes ami(e)s de RCI, si vous savez ce que je regrette de NOUS voir partir --à chaudes larmes-- vers d’autres bureaux, vers d’autres destinées et mettre fin à des années de dur labeur. En 1991, Ottawa allait réduire le personnel de RCI. Aujourd’hui encore, j’ai intacte, en mémoire, l’image de ceux/celles qui restent --parce que plus anciens-- qui regardent partir les derniers arrivés. Faut-il être âgé pour continuer l’aventure médiatique? Faut-il être un ancien pour survivre? Jeune ou pas jeune, ce jour-là, il fallait lire entre les lignes et les regards pour comprendre que les décisions d’un technocrate ont tué l’espoir d’individus et mis fin à un esprit d’équipe.
Pourtant, Radio Canada, c’est la référence. À l’extérieur. Parce que, à l’intérieur, c’est la disparité, les inégalités des chances, la terreur des coupures et des mises à l’écart… Mais ce n’est pas la bonne volonté qui manque.
Alors, chers collègues de là-bas, je vous exprime depuis l’Afrique du nord toute ma sympathie, ma solidarité.
Dr Saïd BEN SLIMANE alias BEN, Tunisie
Et voici l'autre, provenant d'un ancien journaliste à la recherche de l'émission Branché. Nelson Dumais est le «Dr. Octet» du Journal de Montréal, un journaliste indépendant. Férocement indépendant. Qui aime brasser la cage, et il la brasse drôlement ci-dessous... sans trop se faire d'illusions.
Allez savoir pourquoi moi, qui a réussi à élever ma famille et à payer mon hypothèque en ne vivant pratiquement que de piges journalistiques ou associées au journalisme, je me sens interpellé par la grève à la SRC, une grève de gras durs et d’aspirants à l’être. Pourquoi me soucier de ces gens, moi l’indécrottable pigiste? Peut-être parce qu’ils ont décidé de s’attaquer à la précarité, un acte de conscience tout à leur honneur auquel je souscris avec émotion. […]
Aspirants gras durs? Pour avoir travaillé deux saisons à la SRC […], je sais ce que c’est que de vivre la précarité dans la grosse tour du boulevard René-Lévesque. Je ne me pardonnerai jamais m’être laissé traiter comme de la merde en ne faisant que baisser l’échine pour que l’on renouvelle mon contrat et que je puisse conserver ma belle carte d’identité avec ma photo et la mention «Radio-Canada Information Télévision». Je comprends donc certains amis d’accepter cette vie mortifiante dans l’espoir de jours meilleurs. Qui suis-je pour les blâmer?
À la SRC, un contractuel vivant la précarité est un pigiste qui a abouti dans un bureau de boss où on lui a fait (possiblement) miroiter la lune. Puis un jour, il «pète au frette». Fatigué, amer, pas fier de lui du tout, il redevient pigiste sur le marché libre. Libre d’aller téter ici et là pour aller se refaire, s’il est chanceux, un carnet de commandes. Reste que dans son cœur, il n’a d’espoir que celui d’un retour à la SRC avec le ferme propos, cependant, de ne plus ramasser de savonnettes.
Si je sympathise à 100% avec la cause des employés au statut précaire, c’est, bien sûr, parce que leur sort est aussi inacceptable que celui des pigistes hors SRC. Mais c’est surtout parce qu’en raison de la présente médiatisation de leur état, la problématique des deux régimes dans le monde de l’information risque d’être dénoncée plus fortement que jamais. Je dis bien risque.
Je parle de deux régimes parce que les journaux, les magazines, les émissions de radio ou de télé, se font avec deux catégories de travailleurs très souvent entremêlés sans qu’on ne puisse distinguer entre eux. D’un côté, il y a les permanents, d’un autre les collaborateurs externes. Parce que leur qualité professionnelle est de savoir compter les billes, les patrons privilégient l’utilisation de ces derniers, une attitude qui a toujours soulevé l’ire des employés permanents.
Car à travail égal et à compétences égales, le pigiste est beaucoup plus avantageux. [...] S’il veut survivre, il doit livrer à temps, le produit convenu, dans la qualité coutumière, au tarif habituel (entendre à un prix généralement ridicule), cela sans rouspéter. En ce sens, quand le pigiste devient contractuel à la SRC, il tend à filer doux et à en donner au boss pour son argent.
[…] Je ne me plains pas d’être un gagne-petit sans statut professionnel reconnu[…]. Ceux qui me connaissent le savent, j’aime le style de vie rattaché à la pige; il me convient parfaitement. […] Je me plains d’être un rouage essentiel aux médias, un rouage de plus en plus répandu (attachez vos tuques, les camarades syndiqués), qui n’a droit à aucune participation aux bénéfices, contrairement aux permanents qui, eux, ont droit à des conditions bonifiées. Pour faire la même paye qu’il y a douze ou treize ans, je travaille maintenant une journée de plus par semaine.
[…] Malheureusement --et c’est ce qui me fait vraiment péter mes crises d’urticaire-- patrons et syndicats se tendent la main pour normaliser cette injustice. Le syndicaliste qui signe une convention collective sachant qu’un pourcentage de ses collègues de travail sera constitué de pigistes contractualisés ou non, est aussi coupable que le patron qui tend à recourir à ce genre de main-d’œuvre. Larrons en foire !
[...] Tout cela pour dire que j’appuie les grévistes de la SRC parce que, quelque part, je ne sais trop quand, j’en retirerai peut-être quelques bénéfices. Peut-être qu’à force de médiatisation, la foutue CSN mettra ses sacrament de culottes et entreprendra de poser les bonnes questions et de faire les bonnes analyses. Peut-être que la vieille centrale, du moins sa FNC, cessera d’être ce boys club pour privilégiés qu’elle est devenue, pour redevenir la locomotive sociale articulée de naguère... Et peut-être bien, aussi, que ma grand-mère ira se promener en skateboard sur le Métropolitain en pleine heure de pointe...