Voici les visages cachés de RDI. Jeunesse. Précarité.
Aucun de ces artisans ne prend de l'ail suractif.
Isabelle Vachon, au centre, est entrée au Réseau de l'information en août 1998. Elle y a fait, comme tous ses collègues, 36 métiers pour se retrouver, au moment du lockout, assistante à la réalisation aux émissions
Capital actions et
Maisonneuve à l'écoute: «J'ai bouché des trous pendant longtemps et j'ai fait énormément de temps supplémentaire parce qu'il y avait continuellement des rumeurs de coupures. Il fallait que je me montre toujours disponible si je ne voulais pas perdre ma job.»
À un moment donné, on a confié à Isabelle un poste de coordonnatrice, un poste de responsabilité: «C'est elle qui faisait nos horaires, lance une de ses collègues, alors c'est pas toujours facile et il y a de la pression!» Normalement, le salaire augmente proportionnellement aux responsabilités. Mais pas dans le cas d'Isabelle. Son salaire est resté le même. Elle n'a pas osé se plaindre, par crainte de passer pour une employée difficile: «C'est ça qui est le plus triste dans la précarité.»
À 24 ans, elle dit qu'elle ne s'empêchera pas d'avoir une famille même si elle reste précaire toute sa vie. Mais elle aspire malgré tout à la permanence, «pour avoir une vraie carrière», dit-elle simplement.
Son souhait pourrait bientôt se réaliser. Avant le lockout, 15 postes permanents ont été affichés et elle a posé sa candidature à l'un d'entre eux. Elle voyait l'avenir positivement. Mais elle craint que le lockout gâche tout, l'intransigeance de Radio-Canada lui faisant craindre le pire: «J'avais un travail, et là, j'ai peur de le perdre. J'ai peur qu'ils me voient d'un mauvais oeil quand on va rentrer.»
La peur, toujours la peur, à l'intérieur comme à l'extérieur...
«Lockout imbécile», «tonitruante mauvaise foi», Marie-France Bazzo ne mâche pas ses mots à l'endroit de la direction.
Marie-France Bazzo, elle, n'a pas peur. Pourtant, c'est une précaire elle aussi. «Mais je ne vais faire pleurer personne sur mon sort», dit-elle. En effet. Ce n'est pas pour la plaindre que j'ai voulu présenter Marie-France, mais pour montrer les multiples visages de la précarité. Par souci d'honnêteté. Car lorsque le syndicat dit que la moitié de ses membres ont un statut précaire, cela inclut aussi de grands noms.
Marie-France avait l'âge d'Isabelle Vachon lorsqu'elle a débuté à la radio de RC. Elle a chroniqué à l'émission
Plaisirs de Pierre Bourgault, au milieu des années 1980, pour ensuite coanimer et passer en mode full animation avec
Et quoi encore jusqu'à
Indicatif Présent.
Durant toutes ces années, elle a vogué de contrat annuel en contrat annuel. Jusqu'à ce qu'elle se choque: «Je me suis dit que ça serait le fun de ne plus avoir ce stress qui revient annuellement où on se demande: "Qu'est-ce que je vais faire l'année prochaine? L'émission revient-elle ou pas?"» Alors Marie-France s'est négociée un contrat de trois ans, qui s'achèvera avec la fin de sa saison 2002-2003. En fait, Marie-France se voit davantage comme une entrepreneure que comme une employée précaire.
Elle est néanmoins syndiquée et c'est pour son
équipe qu'elle dit faire du piquetage. Dans son équipe se trouve notamment un chef recherchiste incomparable, Jacquelin Castonguay, que vous pouvez d'ailleurs entendre sur les octets de la
radio libre sur le ouaibe. Jacquelin est précaire depuis environ 20 ans. Il n'a vraiment plus besoin de faires ses preuves. Pourtant, Radio-Canada refuse de le considérer comme l'un de ses actifs permanents. Elle préfère le louer, d'année en année. Une location humaine à long terme.
Et puis, en parlant avec Marie-France Bazzo, on se rend compte qu'il lui arrive la même chose qu'à Robert Quintal. Si vous l'écoutez, vous savez qu'elle n'est pas exactement une vendue de la CSN. Mais voilà: «Notre radio allait bien comme jamais. Et là, à cause de ce lockout imbécile, on va tout perdre. On a une radio exemplaire, une radio d'idées...» Elle enjoint tous les auditeurs à écrire sans tarder à leur député pour réclamer la levée du lockout.
Elle enrage également de voir les publicités que Radio-Canada se paie dans les journaux pour annoncer une grille horaire bidon: «C'est scandaleux, s'insurge-t-elle. Nous, on fait des émissions de Paris et Radio-Canada ne paie AUCUNE publicité dans les journaux pour nous. Ils sont baveux. Ils sont d'une tonitruante mauvaise foi!»
Ce n'est plus un camouflet qu'elle reçoit, mais un solide coup de poing sur la gueule. Elle répliquera dans
Le Devoir de samedi prochain. Voici un extrait significatif:
«La puissance de cette radio tient dans la vision large, curieuse, qu’elle offre de la vie, de la société, au fait qu’elle ne résume pas l’auditeur à un segment de marché, à un consommateur de pneus ou de bière, à un amateur rhumatisant de potins célinesques, mais qu’elle s’adresse à l’intelligence de citoyens dont les intérêts sont complexes et multiples.»